Paris rive sombre/Chapitre 1 (pages 8-9)

Il était minuit dix lorsqu’il se retrouva sur le trottoir du 82, rue de Rivoli, prêt à rentrer chez lui pour goûter un repos bien mérité. Mais il était dit que cette journée serait celle de la méditation, car délaissant la ligne 1 du métro qui le ramenait pourtant directement chez lui, il choisit de faire le chemin à pied, sachant pertinemment qu’il lui faudrait plus d’une demi-heure au moins, pour regagner son domicile. Les rues étaient quasiment désertes, et Pierre adorait ce moment où Paris semblait tout à lui, comme une femme s’abandonnant aux caresses de son amant. Il y avait comme une sorte de lien physique avec la ville, il recherchait le contact de sa main sur les murs de pierres froids, ressentant comme un transfert d’âme, une décharge mémorielle entre le passé, le présent et lui. La ballade était des plus agréables, car délaissant la rue de Rivoli, il prit le boulevard Sébastopol sur sa gauche et après avoir traversé la place du Châtelet, il atteignit le quai de la Mégisserie pour sa promenade nocturne en bord de Seine. Longeant le fleuve plongé dans l’obscurité, il pouvait à loisir admirer les bâtiments qui jalonnaient son parcours et qui, tout de lumière vêtus, ressemblaient à des archipels perdus au milieu d’un océan d’obscurité. La Conciergerie, St Germain de l’Auxerrois, L’Académie Française, le Louvre, le Musée d’Orsay, les Jardins des Tuileries, l’Assemblée nationale, la Concorde se succédaient comme dans un guide touristique grandeur nature où l’auteur aurait réalisé un best of des hauts lieux de la capitale. Plus de deux mille ans s’étaient écoulés et le cœur de la ville battait toujours au bord de ces eaux saumâtres. A l’angle du Cours la Reine et de l’avenue Franklin Delano Roosevelt, il obliqua à droite, direction les Champs-Élysées. De nuit, la plus belle avenue du monde semblait retrouver ses splendeurs d’antan, loin de la vampirisation opérée par les grandes enseignes de restauration souvent venues d’outre-Atlantique, et les chaînes de prêt-à-porter populaire. Il ne restait pour l’œil du promeneur que cet alignement souvent invraisemblable d’architectures diverses mais qui dans un ensemble massif et impressionnant conférait au lieu toute sa majesté. Et puis l’absence de ces hordes de touristes et de yuppies made in France qui l’envahissaient de jour, était, il fallait bien l’avouer, très reposante.

Les jambes un peu lourdes, Pierre tourna dans la rue de Bassano, qui par un charmant hasard devenait rue Bassano une fois traversée l’avenue Marceau qui délimitait les 8ème et 16ème arrondissements, pour attaquer la dernière montée vers son appartement. Arrivé au 22, il tapa mécaniquement les quatre chiffres exigés par son digicode et pénétra dans le hall de l’immeuble. Comme souvent à Paris, du moins pour les budgets les plus modestes, son logement se trouvait dans le bâtiment sur cour, et comble du bonheur, au 6ème étage sans ascenseur. C’était comme une ultime épreuve, la manche décisive pour atteindre le nirvana du clic-clac réparateur. Dans le silence de la cage d’escalier il entreprit péniblement l’ascension. Enfin arrivé au sommet, il ouvrit la porte dans un bruit métallique qui sembla résonner dans tout l’immeuble. Il fut aussitôt assailli par Mike, gardien du temple et accessoirement représentant de la race canine, qui entreprit de lui témoigner toute sa joie de le revoir en lui prodiguant un lavage express, à grand renfort de coups de langue. Après avoir tant bien que mal calmé les ardeurs de son fidèle et désormais unique compagnon, Pierre ne mit pas longtemps avant de se plonger dans les draps froids du canapé-lit. Mike reprit son poste de garde et avec un regard rempli d’affection, observa son maître plonger dans les délices du sommeil.