Paris, rive sombre/Chapitre 1 (page 15)

La boutique se trouvait à l’angle de la rue Andrieux juste avant le grand lycée Chaptal. Elle occupait le rez-de-chaussée d’un banal immeuble de six étages. Une fois à l’intérieur, Pierre parcourut, légèrement intimidé, les diverses étagères à la recherche des éléments de sa liste. Il régnait dans la boutique une atmosphère paisible et il fallait bien l’avouer relaxante, on se serait cru coupé du monde extérieur. Au milieu des cristaux, papyrus égyptien et autres bouteilles d’encens, Pierre finit par mettre la main sur les ingrédients qu’il était venu chercher. À la caisse, une charmante jeune femme, dont les origines scandinaves ne faisaient aucun doute, emballa ses achats en lui adressant un sourire complice. Pierre eut l’impression d’être pris en train de voler et avec un sourire gêné il se hâta de saisir son sac et de quitter la boutique qui d’un coup ne lui semblait plus si apaisante. Il était midi passé et il ne reprenait les cours qu’à 14h. Il refit donc le chemin inverse pour rejoindre le quartier latin, ayant décidé qu’il prendrait son frugal repas du midi sur place. Durant tout le trajet du retour, le jeune homme tint son sac fermement plaqué contre lui, car il lui semblait que tous les passagers qu’il croisait le dévisageaient de façon étrange. Avec angoisse, il se rendit compte qu’il nageait en pleine paranoïa et que décidément, l’aventure dans laquelle il se lançait ne laissait pas augurer de meilleurs présages. C’est cet état d’esprit qui habita Pierre durant le reste de sa journée de cours et qui persistait encore lorsqu’il  regagna son domicile sur les coups de 19h. Mike lui réserva son traditionnel accueil et Pierre ne perdit pas de temps avant de l’emmener en promenade. Il avait besoin d’air et préférait ne pas rester chez lui à tourner en rond. La ballade, une traditionnelle rotation autour du square des Etats-Unis, lui fit du bien, et c’est rasséréné qu’il rentra chez lui.  Une fois couché, c’est en vain qu’il attendit le sommeil. Les pensées tournoyaient dans sa tête, et il avait beau essayer de faire le vide, rien n’y faisait. Finalement il renonça à lutter et, à la grande surprise d’un Mike déjà bien avancé sur le chemin de l’endormissement, s’habilla rapidement et sortit. Par réflexe, il prit la direction des Champs-Élysées, bien animés en cette heure tardive. Le mercredi soir marquait traditionnellement le début de la partie festive de la semaine, dont l’apogée aurait lieu le samedi. Perdu au milieu de l’agitation, Pierre retrouvait un peu d’assurance et de calme. Le ballet incessant des voitures, les bobos habillés à la dernière mode côtoyant les bandes de jeunes venues goûter un peu du parfum de la capitale, les touristes béats d’admiration devant les boutiques de luxe et les enseignes mondialement célèbres, tout cet entrelacs humain témoignait du cachet inimitable de ce lieu, bien mieux que tous les discours. L’espace d’un instant, il oublia tout, les problèmes du quotidien, son obsession récente pour le monde des ténèbres même Stéphanie, pour se perdre dans le tourbillon de la nuit. Cette brève thérapie nocturne, efficace et bon marché, le remit d’aplomb et il rentra chez lui d’un pas léger, ragaillardi et prêt à affronter les événements.